La Lingerie Noire / Black Lingerie

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Le Noir dans l’histoire textile

Durant des siècles les vêtements noirs furent l’apanage de la classe dirigeante. Seuls les monarques, la noblesse, les hommes d’église, les hommes de loi en étaient vêtus. La difficulté d’avoir un noir profond associé à la difficulté de sa résistance à la lumière et aux lavages en fait un produit rare, donc coûteux.

510goyaFrancisco de Goya – Antonia Zarate en 1805

Il faut attendre 1850 pour découvrir une nouvelle manière de teindre les tissus en noir, c’est l’association du bleu (indigo, pastel), du rouge (garance, pourpre) et d’un fixateur, point faible des méthodes d’antan. Ce nouveau procédé bon marché va avoir pour effet immédiat de démocratiser la couleur noire, et dès 1860, le Noir est tendance, vingt ans plus tard, il est hégémonique. La fin du 19ème siècle et la première moitié du 20ème seront noires, mais pour de multiples raisons.

Jamais une autre couleur n’a eu autant de significations, de connotations, de contradictions. Le Noir est tout d’abord le signe ostentatoire du deuil et du chagrin, puis deviendra rapidement la couleur de la sobriété et de la décence, mais il peut être aussi mystère, malédiction, autorité, justice, et leur contraire, anarchie et révolte. Il sera aussi pour la première fois la couleur de l’érotisme.

Dès les années 20, le Noir va changer de registre. Il va être associé au raffinement et à l’élégance, mais surtout au luxe et à la haute couture. Gabrielle Chanel créé en 1926, « la petite robe noire », aux antipodes des délires orientaux d’un Paul Poiret dépassé, pendant que la lingerie se risque timidement à employer le Noir.

Une-robe-de-cocktail-Chanel,-Vogue-Mai-1926-by-edward-steichenRobe de cocktail Chanel, Vogue Mai 1926, photo Edward steichen

Le noir dans la lingerie

La lingerie de la fin du 19ème siècle est essentiellement composée de 3 pièces, une culotte longue, ouverte, en coton blanc, des jupons, eux aussi en coton blanc, et l’inévitable corset, en coutil beige pour le commun des mortels, de couleurs vives pour  » les filles de mauvaises vies ». Mais pour la première fois dans l’histoire de la lingerie le Noir va faire son apparition, associé aux corsets, le noir étant en cette circonstance très souvent associé au deuil.

Samaritaine-Deuil-19010Une-robe-de-cocktail-Chanel
Catalogue Samaritaine spécial Deuil 1900 et Catalogue US 1899

Dans les années 20/30, la lingerie française est l’apanage de petites corsetières situées dans le quartier de la Madeleine à Paris, elles vont oser employer le Noir pour quelques clientes peu nombreuses. Cadolle, Charmis, Marguerite Sacrez, Laure Belin, Marie Rose Lebigot créent des parures noires, composées de culottes et de soutien-gorge encore balbutiants, parfois de porte- jarretelles.

1930Lingerie noire 1925

Les derniers  corsets et leurs remplaçants, les combinés  et les gaines,  seront en grande majorité en broché rose, le Noir n’étant pas à la mode pour ces grandes pièces.

Dans le même temps, la lingerie érotique voit le jour par l’intermédiaire d’une marque Française « Yva Richard » qui commercialise  ses pièces par correspondance, à l’aide de somptueuses  photos, la pratique totalité de leur catalogue étant consacré au Noir.

yva richard 55.2Nativa posant pour sa propre marque « Yva Richard » dans les années 30

Arletty BNFArletty dans le film  « Hotel du Nord » de Marcel Carné en 1938

En France, la lingerie noire restera minoritaire jusqu’après la guerre, et il faudra attendre l’invention de la guêpière par Marcel Rochas en 1947 (créée par MR Lebigot) et de la lingerie New Look de Christian Dior ou Jacques Fath, pour voir enfin de la lingerie noire décomplexée dans les pages des magazines grand public.

1948 Lebigot pour RochasGuêpière Marcel Rochas en 1947 créée par Marie-Rose Lebigot

Aux Etats Unis, c’est plus tard que se fera la mutation, par l’intermédiaire d’un film de 1952  » The Merry Widow ». Lana Turner,  vêtue d’une guêpière noire,  jouant  le rôle célèbre de la veuve joyeuse, devient une icône au même titre que Rita Hayworth dans Gilda. Warner s’associe à la promotion du film en commercialisant leur guêpière sous le nom de « Merry Widow ». Pendant près de 5 ans les femmes américaines pourront voir les déclinaisons publicitaires de cette lingerie noire, contribuant ainsi à banaliser cette couleur jusqu’ici réputée sulfureuse.

1934 Lana Turner-The Merry Widow

The Merry Widow – Lana Turner en 1952

A New York, en 1950, sans un sou, Bettie Page va commencer sa carrière de mannequin sexy en posant pour quelques dollars devant de nombreux photographes amateurs. Grâce à Irving Klaw, photographe spécialisé dans la photo fétichiste qui fera des milliers de clichés de Bettie, elle devient l’icône de l’érotisme underground. Playmate du magazine Playboy dans les années 50, elle connait un succès éphémère avec ses photos de Pin-Up. Oubliée dans les années 70, elle fait aujourd’hui l’objet d’un véritable culte et son look vintage influence toujours les jeunes filles et de nombreuses artistes, telle que Dita von Teese. Sa page Facebook compte actuellement plus d’un million six cent mille fans…

Bettie-Page-Nuits-de-SatinBettie Page

En 1963, Vittorio De Sica met en scène dans le film « Hier, aujourd’hui et demain » Sophia Loren (sa propre épouse) qui réalise un striptease devant Marcello Mastroianni : cette scène est devenue une des plus célèbres de l’histoire du cinéma. Sophia Loren, en guêpière puis soutien-gorge, porte-jarretelles et bas noirs, se déshabille devant un Mastroianni hululant de désir face à l’icône sexy du cinéma italien. Morceau d’anthologie pour lequel Sophia Loren a pris des cours avec un chorégraphe du Crazy Horse. Elle deviendra alors le symbole de la féminité absolue et cela immortalisera définitivement la « Lingerie noire » comme étant la « panoplie indispensable de la séductrice ».

chantelle sophia-aujourd-demain-1438239389Sophia Loren en 1963 dans le film « Hier, aujourd’hui et demain »« 

La fin des années soixante, notamment 68, sonnera le désintérêt du Noir dans la lingerie (symbole de la femme objet sexy), au profit des couleurs claires, du blanc et surtout de l’imprimé. Les révolutions féministes de la fin de cette décennie, associées à la déferlante du collant, porteront un coup fatal au monde de la lingerie qui s’endormira jusqu’en 1975, date de l’arrivée d’une talentueuse styliste qui remettra le gout de la féminité, une touche d’érotisme et le Noir à la mode, une certaine Chantal Thomass…

doll-ita-la-lingerie-glamour-de-chantal-thomass-2603630Modèle Chantal Thomass

Texte : © Patrice Gaulupeau/Nuits de Satin

Montage réalisé pour l’exposition « Lingerie Noire » de Chantelle

  •  L’Ange bleu avec Marlène Dietrich
  •  Hotel du Nord avec Arletty
  •  Quai des orfèvres avec Suzy Delair
  •  The Merry widow avec Lana Turner
  •  Lola avec Anouck Aimé
  •  Hier, aujourd’hui et demain avec Sophia Loren

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The color black in the history of textiles

For centuries, black clothes were the ruling class’s prerogative. Only monarchs, nobles, church men and men of the law were dressed in black. This was due to the fact that the deep color was hard to get and it hardly withstood light and washing, which made it a precious and expensive product.

510goyaFrancisco de Goya – Antonia Zarate in 1805

In 1850, a new way of dying fabrics in black was discovered –it was made through the combination of the colors blue (indigo, pastel) and red (madder, purple) and a fixative. This new and cheap method popularized the color black. Black started to be fashionable in 1860, and already dominated the market twenty years later.

This was one of the reason why the end of the 19th century and the first half of the 20th century were considered black.

Never had a color been credited with so much meaning, connotation and contradiction at the same time. Black was first associated to mourning before quickly becoming a color of decency and simplicity. But it also conjures up mystery, a curse, authority as well as their opposite: anarchy and rebellion. It then became for the first time the symbol of eroticism.

The color black’s status changed at the beginning of the 20s. It started to be associated with refinement and elegance, but most importantly with luxury and haute couture. Gabrielle Chanel designed in 1926 the ‘little black dress’, which was very far from what the likes of Paul Poiret were doing at that time. Meanwhile, lingerie slowly began using Black.

Une robe de cocktail Chanel, Vogue Mai 1926-by-edward-steichenCocktail dress by Chanel, Vogue May 1926, picture by Edward Steichen

 Black in lingerie

At the end of the 19th century, lingerie was mainly made up of 3 pieces: long white cotton panties, petticoats also made in white cotton, and the unavoidable corset made in beige ticking for the commoners and in bright colors for the harlots.

But for the first time in the history of lingerie, the color black made an appearance and was combined to corsets whereas this usually meant mourning.

Samaritaine-Deuil-19010Une-robe-de-cocktail-Chanel
Catalog Samaritaine special Mourning 1900 and Catalog US 1899

In the 20/30s, French lingerie was mainly made by small corsetieres residing in the Madeleine area, in Paris who seldom used Black for a handful of clients. Cadolle, Charmis, Marguerite Sacrez, Laure Belin, Marie Rose Lebigot among others designed black sets of lingerie such as panties, bras and sometimes garter belts.

1930Black Lingerie 1925

The last corsets and their successors, corselets and girdles, were mostly made in pink as Black was not fashionable for those kind of clothes.

At the same time, erotic lingerie was created by a French brand ‘Yva Richard’ which sold by mail order. The entire catalogue was dedicated to Black.

yva richard 55.2Nativa posing fir her brand Yva Richardin the 30s

Arletty BNFArletty in the movie ‘Hotel du Nord’ by Marcel Carné in 1938

In France, it is not before the invention of the guepiere by Marcel Rochas in 1947 (designed by Marie Rose Lebigot) and the New Look lingerie by Christian Dior that black lingerie started to be popularized in mainstream magazines.

1948 Lebigot pour RochasMarcel Rochas’s guepiere in 1947 designed by Marie-Rose Lebigot

In the United-States, black lingerie started making an appearance a little bit later, in 1952 through the movie ‘The Merry Widow’. The leading actress Lana Turner wore a black guepiere which was later commercialized under the name ‘Merry Widow’ during the movie’s promotion. For 5 years, American women were exposed to all the ads made for this black lingerie. This largely contributed to the banalization of the color, which until then had a scandalous reputation.

1934 Lana Turner-The Merry WidowThe Merry Widow – Lana Turner in 1952

In New York, 1950, Bettie Page, penniless, started her foxy model career by posing for a couple of dollars for many amateur photographs. It was Irving Klaw, a photograph specialized in fetishist pictures who took thousands of shots of Bettie, who turned her into an icon of the underground erotism. Playmate for the magazine Playboy in the 50s, she met with a short-lived success thanks to her Pin-Up pictures. Forgotten in the 70s, she is worshiped nowadays and her vintage look influence many young girls and artists, such as Dita von Teese. Her Facebook page has more than one million six hundred thousands fans …

Bettie-Page-Nuits-de-SatinBettie Page

In 1963, Vittorio de Sica directed the movie ‘Yesterday, today and tomorrow’ with Sophia Loren (his wife) who performed a striptease for Marcello Mastroianni –this scene is one of the most famous in the history of cinema. She had to take lessons from a famous Crazy Horse choreographer for this scene. At the end of her show, she is left wearing a guepiere, a garter belt and stockings, all black.

Sophia Loren became the symbol of womanhood and black lingerie was deemed an absolute must for all the aspiring femme fatale.

chantelle sophia-aujourd-demain-1438239389Sophia Loren in 1963 in the movie ‘Yesterday, Today and Tomorrow

The end of the 60s, especially 68, brought a lack of interest in black lingerie, which objectified woman, in favor of lighter colors, white and print.

The feminist revolutions that took place at the end of the decade, paired with the trend of tights, were a fatal blow to lingerie. Underwear only made its comeback in 1975, thanks to a talented designer, Chantal Thomass, who brought sexiness and Black back to fashion.

doll-ita-la-lingerie-glamour-de-chantal-thomass-2603630Chantal Thomass Model

Text: © Patrice Gaulupeau/Nuits de Satin

Editing made for the exhibition « Lingerie Noire » by Chantelle

  • The Blue Angel with Marlene Dietrich
  • Hotel du Nord with Arletty
  • Quai des orfèvres with Suzy Delair
  • The Merry widow with Lana Turner
  • Lola with Anouck Aimé
  • Yesterday, Today and Tomorrow with Sophia Loren

Les Histoires / Stories

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Petites histoires de la lingerie

Dans la rubrique histoire, vous pourrez trouver la crème de tout ce que nous avons pu collecter en 15 années de recherche, dans de nombreuses bibliothèques, au cœur de centaines d’ouvrages. Ayant constaté que l’histoire des dessous féminins, bien qu’extrêmement riche et variée, est trop souvent réduite à quelques anecdotes (souvent fausses), reprises à l’envi de livres en livres, de sites en blogs, il nous a paru important de remettre les choses au point et de casser le cou aux idées reçues et retransmises sans contrôle ni recoupement.

  • Non, le soutien gorge n’est pas une invention française de 1889, mais américaine de 1863.
  • La guêpière, inventée par Marcel Rochas en 1947, n’est pas à l’origine un combiné sexy, mais un simple serre taille, qui grandira au fil des années.
  • Aucune femme n’est jamais morte étouffée ni transpercée par son corset, par contre, elles sont des milliers à mourir dans l’incendie de leur crinolines, devenant ainsi les premières victimes de la mode.
  • Non, le Président de la République Félix Faure, n’est pas mort dans les bras de Madame Steinheil, qui dans sa précipitation aurait oublié son corset à l’Elysée…

Etc. …

Nous aurons aussi à cœur de vous divertir en vous comptant des anecdotes peu connues, mais ô combien intéressantes ; c’est ainsi que vous pourrez apprendre :

  • Que la véritable raison du divorce de Marilyn Monroe et de Joe di Maggio à pour cause sa célèbre culotte blanche, trop photographiée sur le tournage de « 7 ans de réflexion »
  • Que ce fut une guerre « nucléaire » entre Jacques Heim et Louis Réard en 1946 pour remporter le marché du mini maillot de bains 2 pièces. L’un le baptisa « Atomic », l’autre « Bikini »
  • Qu’ « Yva Richard », la première marque de lingerie coquine, a été inventée par un couple, qui, ayant compris avant tout le monde qu’une bonne photo fait bien vendre, firent en guise de catalogue, de très belles photos de leurs produits. Très rapidement, ils vendirent plus de photos que de lingerie. Aujourd’hui encore leurs clichés sont la référence de la photo fétichiste.
  • Qu’en 1955, on vendit un soutien gorge gonflable, qui pouvait se gonfler et se dégonfler au gré de l’humeur du moment. Appelé « Very Secret » et diffusé par Scandale, il était une adaptation moderne de pads en caoutchouc gonflables pour corsets, vendu à la Samaritaine en…1888 !

Etc. …

 
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Short stories about lingerie

In the Stories sections, we will uncover the best of what we collected over 15 years of researches in many libraries and hundreds of books. Too often, the history of underwear is limited to several anecdotes (usually false) picked up carelessly by books, sites and blogs. We deemed necessary to get things straight and lay received ideas to rest.

  • Bras are not a French in invention from 1889 –they were actually created by Americans in 1863
  • The guepiere created by Marcel Rochas in 1947 was not a former sexy négligé but a mere waist cincher that evolved throughout the years
  • No woman ever died suffocated or stabbed by the corset she was wearing. They were, however, thousands to die because of their bustles catching fire, becoming the very first fashion victims
  • President Felix Faure did not die by Madame Steinheil who would then have forgotten her corset in a hurry at the Elysée

Etc. …

We will also enjoy relating little known anecdotes such as:

  • The real reason behind Marilyn Monroe and Joe di Maggio’s divorce, which happened to be here famous white panties shot on the set of The Seven Year Itch
  • The ‘nuclear’ war between Jacques Heim and Louis Réard in 1946 over the two-piece swimsuit market. One of them named it ‘Atomic’, the other ‘Bikini’
  • ‘Yva Richard’, the first sexy lingerie brand was crated by a couple who understood very early that a quality picture made a great difference in sells. They used beautiful shots for their catalog and quickly realized they were selling more pictures than lingerie. Today still, their pictures are considered to be a reference for fetishist pictures.
  • In 1955, a special bra was created and it could easily be inflated and deflated at the discretion of the mood. It was named ‘Very Secred’ and distributed by Scandale. It was actually a modern adaptation of what used to be inflatable rubber pads for corsets sold by the Samaritaine … in 1888!

Etc. …

 Patrice Gaulupeau