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L’origine des bas de soie des Cévennes
La soie est une invention et une industrie chinoise datant de plusieurs millénaires, mais vu la distance entre l’Orient et le « Vieux continent » qui engendrait des échanges commerciaux longs et coûteux, de nombreux pays d’Europe, dès le Xème siècle, ont produit leur propre soie. On peut citer l’Espagne, l’Italie (pour la soie d’ameublement), la France (pour la soie d’habillement); même l’Angleterre s’y était essayée, sans succès, son climat étant peu propice à l’élevage du vers à soie.
Parmi toutes ces soies occidentales, une des plus belles, et celle qui avait le fil le plus fin, était la soie française. Cette particularité permettait de produire des bas de soie d’une finesse inégalée, et a été pendant plus de quatre cent ans la référence de qualité et de luxe dans toutes les cours d’Europe. Durant les 18ème et 19ème siècles, il était inconcevable que les jambes royales ne fussent pas gainées des bas les plus luxueux, tissées avec les fils les plus fins.
Louis XIV, la reine Victoria d’Angleterre, ainsi que les cours impériales d’Autriche et de Russie étaient grands amateurs du savoir-faire Cévenol. Porter des bas de soie des Cévennes était un must.
Louis XIV, roi de France et de Navarre, par Hyacinthe Rigaud © musée de l’Armée
Pour tous ceux qui ne connaissent pas cet épisode glorieux et oublié de l’industrie Française, voici un bref hommage aux très riches heures du bas de soie Cévenol.
Les premières traces de sériciculture en France (élevage du vers à soie) remontent aux dernières années du XIIIème siècle à Anduze. La première ordonnance royale sous François 1er, encourageant la plantation de mûriers, dont la feuille est indispensable à la création du cocon, remonte à 1544.
Cocons de vers à soie sur branches de mûriers
Sous le règne d’Henri IV, la France est devenue une grande consommatrice de soie et le roi fait beaucoup pour donner des moyens à cette nouvelle branche économique, au grand dam de son ministre des finances Sully, qui, ennemi du luxe et de la Cour, propose la publication d’édits interdisant le port des textiles de luxe.
En 1602, une décision royale demande à chaque paroisse du pays de posséder une pépinière de mûriers et une magnanerie (couveuse de vers à soie). A Paris, au Bois de Boulogne, une magnanerie est construite, entourée de 15.000 mûriers.
Par édit royal, autant de mûriers sont plantés jusque dans le jardin des Tuileries. François Traucat, pépiniériste Nîmois ayant les faveurs du Roy, aurait fait planter entre 1564 et 1606, plus de 4 millions de mûriers en Provence et en Languedoc. Plus tard, sous le règne commercial de Colbert, et encouragé par Louis XIV, des subventions sont allouées à la sériciculture pour que la soie Française, concurrencée par la soie produite en Espagne ou dans le Piémont Italien, soit la meilleure et devienne incontournable. La soie est devenue un enjeu commercial stratégique.
Au 18ème siècle, dans tout le Languedoc, et notamment dans les Cévennes, presque chaque famille « éduque le ver et tire son fil« . La soie brute est alors vendue à des négociants et des tisserands de Nîmes ou de la région Lyonnaise, ce qui contribuera à faire acquérir à cette région une notoriété mondiale pour le travail de la soie.
Les Cévennes sont alors producteurs de fils de soie mais aussi, et c’est ce qui nous intéresse, vont devenir fabricants des plus beaux bas de soie jamais produits.
En 1789, le pays cévenol produisait plus de 200 000 paires de bas de soie. La petite ville d’Anduze eut jusqu’à 20 filatures, Ganges, le Vigan et Sumène s’était fait une spécialité du bas de soie, elles en étaient les capitales.
L’âge d’or se poursuivit après la Révolution, les progrès technologiques permettant le développement des filatures et de la production de masse. La prospérité des élevages de vers à soie connaîtra son apogée lors de la première moitié du XIXe siècle.
C’est l’époque où les petits ateliers de filature sont peu à peu remplacés par des unités plus productives. La vapeur fait son apparition et ouvre la porte à l’industrie.
Les filatures des bourgs cévenols vont employer chaque jour des milliers d’ouvriers, mais surtout d’ouvrières. Les femmes, qui régnaient déjà depuis le début de l’aventure de la soie sur l’éducation du ver, se retrouvent majoritaires dans beaucoup de filatures, mais dans quelles conditions…
Dans ces usines, véritables bagnes féminins, six jours par semaine, dix à douze heures par jour d’un travail dur et insalubre (1,50 franc par jour, la moitié de la paye d’un homme).
Filature de soie dans les Cévennes
Ces « damnées de la soie » travaillent au rayonnement de la France, car c’est désormais dans le monde entier que les bas de soie des Cévennes sont demandés.
En 1853, la production Française atteindra son apogée avec 26 000 tonnes de cocons, pourtant le fil de soie est si léger qu’il en faut plus de 4000 mètres pour faire un gramme !
L’âge d’or de la soie cévenole va cependant prendre fin brutalement. Existant depuis des siècles, des élevages entiers de vers vont être dévastés par une nouvelle maladie : la pébrine. Contagieuse et héréditaire, cette maladie sera étudiée par Louis Pasteur qui ne trouvera de solutions qu’en 1870. Tard, trop tard ! Les filatures s’approvisionnent déjà en Italie et en Orient, la production Française a été divisée par quatre, et en 1857, elle n’est plus que de 7500 tonnes.
Le coup de grâce sera définitivement donné à l’industrie cévenole en 1869, et, ironie de l’histoire, c’est un Français qui en sera l’instigateur. En effet Ferdinand de Lesseps fera creuser en Egypte, pendant dix années, le canal de Suez. A son ouverture, le monde sera changé, les échanges commerciaux entre l’Europe et l’Asie seront facilités, les transports étant réduits de moitié. Les soies chinoises et japonaises inonderont l’Europe à vil prix, pendant qu’en France la baisse inéluctable de la production, l’exode des soyeux, la dégénérescence des mûriers ne laisseront aucune chance aux Cévennes qui ne se remettront jamais du déclin de cette industrie. Avec la soie, la vie s’en est allée des vallées cévenoles.
Quelques marques comme les bas Lys, Marny ou Montagut continueront à se battre et à imposer le savoir-faire Français dans un environnement commercial difficile.
Quand le bas Montagut revendiquait le savoir-faire de la « bonneterie cévenole », la publicité des bas Lys nous apprenait que » Depuis Louis XIV les bas Lys se fabriquent dans les Cévennes, au pied du mont Aigoual ».
L’arrivée en 1924 de la soie artificielle, appelée rayonne ou viscose, puis du bas sans couture dans les années 1955, sonneront définitivement le glas d’une industrie quatre fois centenaire, et de nouveau, la soie orientale régnera en maître.
Texte ©Patrice Gaulupeau/Nuits de Satin
The origin of Cevennes silk stockings
Silk is an ancestral Chinese invention and industry but because of the distance between the East and the ‘Old continent’, commercial exchanges were long and expansive. This explains why, from the 10th century, many European countries started producing their own silk. Among them: Spain, Italy (for furniture mainly), France (for clothes); England also gave it a try but with little success as the weather was not suitable for breeding silkworms.
But the more delicate and refined was the French silk. This enabled the country to produce silk stocking of extraordinary quality, which was the absolute reference of luxury in every European courts for more than four hundred years. During the 18th and 19th centuries, it was inconceivable for royalties not to be wearing the precious stockings.
Louis XIV, Queen Victoria, imperial courts in Austria and Russia –all were very fond of the French skills. Wearing silk stocks from the Cévennes was a must.
Louis XIV, King of France and of Navarre, by Hyacinthe Rigaud © the Army Museum
For all of those who do not know this glorious and forgotten episode of the French industry, this could be considered a short tribute to silk stockings from the Cévennes.
The first records of silk culture in France date back to the end of the 13th century in Anduze. The first royal order was made in 1544 under Francis I and it encouraged mulberry trees plantation, which leaf is essential to the process.
Silkworms cocoons on Mulberry trees’ branches
Under the reign of Henri IV, France became a great consumer of silk and the King made sure to help finance this new economic branch –to the great displeasure of his minister of finance (Sully) who loathed luxury and Court and tried to publish edicts which would forbid to wear luxurious fabrics.
In 1602, a royal decision demanded that every parish owned a mulberry trees nursery and a magnanery (for silk culture). In Paris, at the Bois de Boulogne, a magnanery was built, surrounded by 15.000 mulberry trees.
As many mulberry trees were built up to the Tuileries garden. Francois Traucat, who was a nursery owner close to the King, had more than 4 millions mulberry trees planted between 1564 and 1606 in Provence and Languedoc. Later, under Louis XIV, subventions were allocated to silk culture in order for France to be the best and major producer, ahead of Spain and Italy. For silk had become an economic stake.
During the 18th century, in Languedoc and especially in the Cévennes, almost every family cultivated silk. Raw silk was then sold to merchants and textile workers from Nimes or Lyon, which helped this region gain a worldwide reputation for silk culture.
The Cévennes were then producers of silk but they were also, and this is what interests us most, producing the finest silk stockings ever seen. In 1789, the Cévennes county was producing more than 200 000 pairs of silk stockings.
The golden age continued after the Revolution, thanks to technological progress, which improved spinning mills and started mass production. Silk culture was at its peak during the first half of the 19th century.
At that time, small spinning workshops were slowly replaced with more productive units. Steam was also starting to emerge, making way for the industry.
Spinning mills in the Cévennes were employing thousands of workers every day, especially women –and the conditions were horrendous.
Factories were like slavery, working six days a week, ten to twelve hours a day and the tasks were tough and unhealthy –not to mention the wedge of 1,50 franc a day, about half of what men were paid.
Silk spinning mills de soie in the Cévennes
These unfortunate women worked for their country’s glory as the Cévennes silk stocking were ordered all around the world.
In 1853, the production was at its peak with 26 000 tons of cocoons –and that is considering silk is so light, more than 4000 meters were required to produce a gram!
However, the golden age of Cévennes silk took an abrupt end because of a disease (Pebrine) that affected the silkworms. Louis Pasteur worked on the disease and eventually found a remedy in 1870, but it was too late. Spinning mills were already getting their supplies in Italy and in the East. The French production was divided by four and by 1857 it only reached 7500 tons.
The last blow was given, ironically, by a French man in 1869. Ferdinand de Lesseps initiated the digging of the Suez canal. This changed the world, especially commercial exchanges between Europe and Asia, which were greatly facilitated as transports became half as cheap. Chinese and Japanese silks took over Europe at very competitive pricing while the production in France was declining drastically. The Cévennes never recovered from it.
Some stocking brands like Lys, Marny or Montagut kept on defending French skills despite a very tough economic environment.
Montagut praised Cévennes skills, whereas Lys’s adverts were claiming ‘Lys stockings have been produced in Cévennes since Louis XIV’.
When artificial silk, also named rayon or viscose, appeared in 1924 followed by seamless stocking in 1955, the four-century-old silk industry was irrevocably extinct. And Eastern silk prevailed once again.
Text ©Patrice Gaulupeau/Nuits de Satin