Règne du Corset / Reign of Corsets (1)

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L’histoire du corset au 19e siècle 

Enfant naturel du corps piqué, droit ou à baleines et dont le règne a duré près de 5 siècles, le corset fut le dénominateur commun de la mode durant plus de 100 ans. Né dans sa forme moderne aux environs des années 1830, c’est-à-dire au moment où sa fermeture s’effectue sur le devant  au moyen d’un busc à œillets en deux parties,  le corset n’évoluera fondamentalement que très peu durant un siècle.

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Bien que changeant constamment de forme, de style, de hauteur, de tissu, au gré des modes et des désirs des premiers couturiers star comme Worth ou du talent créatif d’une cohorte de corsetières, le corset sera le sous- vêtement et l’accessoire incontournable du 19ème siècle.

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Durant la période qui va de 1830 à la fin de la première guerre mondiale, des centaines de millions de corsets seront fabriqués et vendus sur le vieux continent (que l’on n’appelle pas encore Europe), ainsi qu’ un nombre  beaucoup plus important sur le nouveau continent qui ne se résume alors qu’à New York et à quelques états de la Côte Est Atlantique.

L’industrie Américaine du corset qui avait débuté aux environs de 1865, produisait déjà en 1889 plus de 5000 douzaines de corsets par jours (la douzaine était l’unité de production et de vente en gros à cette époque).

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Pour l’Europe, les pays producteurs sont l’Angleterre, l’Espagne et dans une moindre mesure, l’Italie et l’Allemagne, mais c’est en France que le plus gros de la production est effectué. A Paris, dès les années 1830, le corset est une industrie à part entière. Des centaines de fabriques employant des milliers d’ouvrières, ainsi que d’innombrables corsetières indépendantes, alimentent un marché en pleine expansion et chaque jour plus demandeur. C’est ainsi que les premiers chiffres connus de la seule production parisienne en 1850 font état d’une fabrication de 1 200 000 corsets !

4 Manufacture de corsets Lyon Michey Ressicaut & fils 54 rue Sébastopol 1 place des Cordeliers

L’industrialisation et le développement du chemin de fer a favorisé la production et la distribution de masse. Vers la fin du XIXe siècle, des grands magasins inaugurent des services de vente par correspondance, les Français et les Américains sont les chefs de file dans ce domaine.

Au Bon Marché, fondé en 1852, s’ouvre un service de vente par correspondance qui compte deux départements : le premier, pour la France; le second, pour l’étranger. Les commandes reçues sont livrées partout en Europe et en Afrique. En 1894 seulement, l’entreprise distribue 1 500 000 catalogues.

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Le port du corset est une obligation. Qu’elle soit sociale, parentale, historique ou médicale cette obligation ne se discute pas, une femme sans corset est une fille perdue. Dès leur plus jeune âge, les petites filles en sont vêtues, pour ne pas dire équipées, et si elles n’ont la taille resserrée qu’à l’adolescence, le corset fait partie intégrante de leur vie, de leurs premiers mois jusqu’à leur dernier souffle.

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Pour accompagner  leur vie quotidienne, le corset sera : de jour, de matinée, de sport, de cavalière, pour bicyclette, de soirée, de repos, parfois « de cocotte », ainsi que bien sûr, de grossesse, d’allaitement ou de nourrisse.

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Chaque âge de la vie à les siens, chaque population ses fournisseurs. Les corsets ordinaires, en coutil beige sans décoration pour le petit peuple, viennent principalement de Lyon. Les corsets parisiens en satin de soie de couleur, évantaillés, brodés et brochés, répondent aux besoins de luxe de la haute bourgeoisie, nouvelle classe dominante de cette deuxième moitié du 19ème siècle.

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Si  la taille fine est en Europe une tradition monarchique séculaire, la démocratisation du corset, ainsi que sa médiatisation par la publicité et la photographie naissantes, va encourager toutes les femmes, même les plus humbles, à se serrer la taille, souvent  au delà du raisonnable, parfois  au péril de leur santé. De l’Impératrice Eugénie à la moindre blanchisseuse, de la Princesse Elisabeth d’Autriche (plus connue sous le nom de Sissi) aux cocottes des théâtres de boulevards, des filles du peuple aux grandes bourgeoises de la capitale, toutes n’auront qu’une obsession, avoir la taille fine, avoir la taille la plus fine.

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Les excès seront légions, dénoncés sans relâche par le corps médical unanime (voir article ci-dessous sur les maladies du corset), parfois même par les états dont certains, comme la Russie, légiféreront ; rien n’y fera. On ne lutte pas contre la mode, surtout quand la mode magnifie la femme.

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C’est la première guerre mondiale qui signe l’arrêt de mort du corset. La France, qui compte alors quarante millions d’habitants, va perdre durant les quatre années du conflit, un million et demi de ses hommes au front. Plus de 4 millions de « Poilus » en reviendront blessés, estropiés ou invalides. Ce carnage aura des conséquences sociales profondes, les femmes dès les premiers mois de la guerre s’organisant pour remplacer au travail, les hommes de leur maison.

On voit des femmes chauffeur-livreur dans les villes, dans les campagnes elles effectuent la totalité des travaux des champs, dans les usines seules les femmes travaillent, même pour les postes pénibles naguère réservés à leurs maris.

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Pour toutes ces ouvrières, pour ces paysannes, le port du corset devient superfétatoire, quand à la bourgeoisie des villes, peu touchée par ce changement de vie, c’est l’approvisionnement en matière première qui deviendra un véritable problème, le manque de coton, dentelles et baleines sonnant le glas de leur très cher corset. Même outre atlantique, les femmes patriotes américaines décident en 1917, de répondre à l’appel du « War Industries Board » en n’achetant plus de corsets à baleines d’acier, ce qui permis, dit- on, de récupérer l’équivalent de deux cuirassés…

C’est ainsi que s’éteignit un règne de près d’un siècle. Né dans les années 1830, dans les soubresauts et les aléas de l’histoire, le corset dans sa version moderne ne survécu pas à la première guerre mondiale. En un siècle, le corset aura imprimé à tout jamais son empreinte dans l’histoire de la mode. Jamais un vêtement n’aura véhiculé autant d’envie, de rumeurs, de fantasmes , généré autant de pamphlets et de chansons, inspiré autant d’artistes.

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19 imgres 18 Le Bal, James Tissot, 1883 Le corset que l'on voit ici, n'est pas à strictement parler un corset puisque celui-ci était caché, et bien caché, mais la découpe est typique du corset dit de divorce. Nom sans rapport.

Durant son règne, le corset fut le symbole même de la féminité rayonnante, il le reste encore aujourd’hui. Source d’inspiration pour les grands couturiers, il reste un atout de séduction incontournable  et produit fétiche des pin-up !

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Texte : © Patrice Gaulupeau/Nuits de Satin

Annexe :

Maladies liées au corset vers 1850

Le port du corset n’a jamais eu bonne presse en général et auprès du corps médical en particulier. Pendant plusieurs décennies de nombreux spécialistes, souvent autoproclamés, se sont fait l’écho de toutes les maladies et de toutes les conséquences néfastes qu’apporterait le port du corset, surtout s’il était fortement serré.

Voici quelques exemples de ces critiques  » médicales » :

« Le corset est un instrument de gêne et de mensonge, destiné à déformer la femme. Malgré la réprobation générale de la science, malgré les conseils des médecins, les exigences de la mode ont prévalu, le corset s’est maintenu, son empire s’est chaque jour étendu. Des classes aisées, il est passé dans l’atelier, dans la mansarde, où la femme, constamment soumise à l’effort, souffre bien davantage de sa pernicieuse action »  Dixit le rapporteur de la première exposition universelle des produits de l’industrie  de 1855 à Paris

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« Le corset n’agit pas seulement sur les cavités qu’il comprime, les effets de sa funeste influence trouvent leur explication dans les organes impunément soumis à son action. Des céphalées opiniâtres, des palpitations tumultueuses du cœur, le bruit de souffle dans les carotides, la suppression irrévocable des règles, une grande disposition à la toux, la couleur jaune-verdâtre des téguments, la bouffissure des traits, l’œdème des membres, des affections hystériques, une profonde mélancolie, tels sont les symptômes constatés. » Etude sur le corset au point de vue physiologique et pathologique par le Dr J.F. Verdier 1859

Parmi les plus connus et les plus sérieux de ces « médecins-spécialistes », nous pouvons citer  le docteur O’Followell  (Le Corset 1905) et surtout  Ines Gache-Sarraute (Le Corset : étude physiologique et pratique.1900). Si pour le premier, la lecture de ses écrits n’a qu’une valeur historique, ce bon docteur ayant fait précéder ses digressions médicales d’une très intéressante et très documentée histoire du corset, pour la deuxième, la méfiance est encore plus de mise, le vrai métier de la dame étant corsetière. Il est évident qu’au fil de ses terribles descriptions médicales, le seul but de ses écrits était de ne faire porter que les corsets Gache-Sarraute, tous les autres n’étant pas « hygiéniques » (le grand mot à la mode en ce début de siècle).

La palme du grand n’importe quoi, se trouve dans un livre de 1857, appelé « Considération sur cinq fléaux » de Charles Dubois, Chevalier de la légion d’honneur. Ces fléaux sont, le tabac, le jeu, l’alcool, l’agiotage (la spéculation) et… le corset.

Je vous propose de compulser ici une petite partie de la longue liste des maladies liées au port du corset  trouvé dans ce livre, qui se voulait sérieux lors de sa sortie, mais qui 150 ans plus tard, devient un ouvrage comique.

« Affaiblissement de la vue, de la voix et de l’intelligence, Apoplexie, Mal de gorge, Cancer, Inflammation du cerveau, Epilepsie, Folie, Hystérie, Hypocondrie, Idiotisme, Mal et chute des dents, Pulmonie, Humeurs froides, Hépatite, Flaccidité (mollesses des chairs) » et l’on vous a gardé les deux meilleures pour la fin « Nymphomanie (fureur de l’amour) et Haleine fétide. »

Et le grand homme concluait sur ces mots, « Presque toutes les personnes qui se compriment le corps ont une ou deux affections que je viens de nommer. Donc l’abus du corset est la plus barbare et la plus grande de toutes les folies humaines »

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The history of corsets in the 19th century 

The corset is the natural successor to the 18th stays and its reign over fashion lasted over more than a century. Its current shape, with the lacing on the front through two sets of eyelets, appeared in 1830 and barely changed over the century.

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Corsets had various shapes, styles, and measurements, depending on the trends and the designers and corset-maker creative skills. But it always remained the key underwear of the 19th century.

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From 1830 to the end of WW1, hundreds of millions of corsets were made and sold on the old continent (which was not yet called Europe) and an even greater number was produced on the new continent, which back then consisted only of New-York and a couple of states on the East Coast.

The American industry of corsets, which had started in 1865, was already producing in 1889 more than 5000 dozens of corsets a day.

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In Europe, the main producers were England, Spain and, to a lesser extent, Italy and Germany. But the greatest producer of all was France. From 1830, corsets became a genuine industry in Paris. Hundreds of factories hired thousands of workers as well as countless independent corset-makers in order to supply an ever-growing market. The first total known for the Parisian production dates back to 1850 and comes up to 1 200 000 corsets!

4 Manufacture de corsets Lyon Michey Ressicaut & fils 54 rue Sébastopol 1 place des Cordeliers

Industrialisation and the development of the railways both encouraged mass production and distribution. At the end of the 19th century, department stores started offering mail order selling services –the leaders in this field were the French and the Americans.

The Bon Marché, which was founded in 1852, started offering this kind of service with two units: one dedicated to France, the other one for abroad. The orders came from all around Europe and Africa. In 1894 solely, the company distributed over 1 500 000 catalogues.

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Wearing a corset was mandatory. Whether for social, parental, historical or medical reason, this requirement was indisputable –a corsetless woman was a lost woman.

From an early age, girls would start wearing them even though the waist was not narrowed before teenagehood. It was an integral part of their life, from the very first months to the very last breath.

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Throughout the day, there were different kinds of corsets that could be used: for daily use, for the morning, for exercise, horse-riding, cycling, the evening, resting, for the harlots as well as for pregnancy, breast-feeding or nursing.

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Each stage in life had its own corsets and each population had its own providers. Regular corsets in plain beige ticking, which were worn by the common people, were mainly produced in Lyon. Parisian corsets made in colourful silk satin, embroidered and in brocade were for a more demanding upper-class clientele that dominated the second half of the 19th century.

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Even though having a slender waist was an age-old tradition in Europe, the popularization of corsets combined to its media exposure through advertising and the budding art of photography, encouraged every women from every classes to squeeze their waist at any cost. Sometimes beyond reason, and to the point of risking their life over it. From Empress Eugenie to a mere washerwoman, from Princess Elisabeth of Austria (also known as Sissi) to the boulevards’ harlots, from the common girls to the capital’s ladies –all were obsessed with having an ever slimmer waist.

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The medical community deeply condemned the multiple abuses (see article below concerning the illnesses caused by corsets), and some states, like Russia, even wrote laws on this matter –but to no avail. It is impossible to fight off fashion, especially when said fashion glorifies women.

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WW1 eventually put an end to corsets. In France, out of forty millions inhabitants, one million and a half men lost their life at the front during the conflict that lasted for four years. More than 4 millions soldiers came back wounded, crippled or handicapped. This bloodbath had significant social consequences –from the early months after the war started, women started replacing men at work.

In town, there were now driver/delivery women. In the countryside they were farming. And in factories, only women were now working and doing the hard work that was once intended to their husband.

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Suddenly, wearing a corset seemed pointless to the workers and farmers. The upper-class women were facing another issue: the supply of raw materials. The shortage of cotton, lace and whalebones put an end to their dear corsets. Even in America, the patriotic women rose to the call of ‘War Industries Board’ in 1917 by not purchasing corsets made in iron whalebones, thus helping save the equivalent of two battleships …

This is how a reign that lasted a century came to an end. Created in 1830, the corset didn’t outlast the war but it did leave a very powerful mark in the history of fashion. Never an item of clothing aroused such longing, rumours, fantasies and inspired so many artists.

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19 imgres 18 Le Bal, James Tissot, 1883 Le corset que l'on voit ici, n'est pas à strictement parler un corset puisque celui-ci était caché, et bien caché, mais la découpe est typique du corset dit de divorce. Nom sans rapport.

At its height, the corset was the emblem of womanhood and it still is today. It remains a source of inspirations for the great fashion designers and an essential asset for seduction, especially for pin-ups.

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Text: © Patrice Gaulupeau/Nuits de Satin

Appendix:

Illnesses caused by corsets in 1850

Wearing a corset was never well seen, especially by the medical community. For decades, many self-proclaimed specialists emphasized on all the illnesses and unfortunate consequences that came with wearing a corset, particularly when it was tightly secured.

Here are some examples of those ‘medical’ criticisms:

‘The corset is a tool of discomfort and lie, intending to distort women’s bodies. In spite of the scientific community’s disapproval and in spite of the doctors’ recommendations, fashion prevailed and the corset’s empire increased every day. It even extended to workshops where women who are constantly subjected to physical efforts suffer much more by wearing the piece of clothing.’ Said the reporter of the first universal exhibition of industrial products in 1855 in Paris.

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‘Corsets don’t only compress body parts. They also cause bad headaches, turbulent heart’s palpitations, irrevocable amenorrhea, coughing, the skin’s greenish-yellow color, swollen faces, oedemas, hysteria, and melancholia. Such is the action of corsets.’ Study on the corset with a physiological and pathological view by Dr J. F. Verdier in 1859.

One of the most famous ‘specialists’ are Dr. O’Followell (The Corset, 1905) and Ines Gache-Sarraute (The Corset: a physiological and practical study, 1900). The first’s main value nowadays is of historical interest as he wrote an introduction about the history of corsets in a very documented way. The second was a former corset-maker, which is why her writings must be taken with an even greater care. In fact, after reading her medical recommendations, it becomes very clear that her aim is to lead people to wear only the corsets she created, as the others were not considered ‘hygienic’ (a very fashionable word at that time).

But the biggest award of stupidity probably went to a book written in 1857 by Charles Dubois on the five plagues of the century. Namely tobacco, games, alcohol, gambling and … corsets.

Here is a non-exhaustive list of illnesses supposedly cause by corsets according to this book that was meant to be serious but became quite a joke 150 years later:

‘Impairment of vision, voice and intelligence, strokes, throat aches, cancer, brain’s inflammation, epilepsy, madness, hysteria, hypochondria, stupidity, toothache and loss, lung disease, hepatitis, flaccidity –and even better: nymphomania and bad breath.

The wise man ended by saying ‘most people who constrict their body have one or two of the afflictions I just enumerated. Therefore, the abuse of corset is the most barbarous madness of humankind.